Haunt me, haunt me, do it againJeremy Piningre


«Haunt me, haunt me, do it again»… sous ce titre emprunté au premier album studio de Tim Hecker, Jeremy Piningre nous fait entrer dans l’intimité d’un échange de textos entre une créature voluptueuse et un-e correspondant-e inconnu-e. Sur l’écran de son téléphone, la chimère alanguie à la gueule de cauchemar reçoit une succession de vers énigmatiques et anonymes rédigés en une langue baroque qui la font passer de la curiosité au désir, de l’émoi à l’angoisse, de la suspension à l’extase, et pourquoi pas de l’extase à l’amour.

Le-la lecteur-trice lettré-e —aux antipodes du personnage qui ne s’exprime que par langage SMS— reconnaîtra dans les mystérieuses strophes l’étonnante poésie Un corbeau devant moi croasse rédigée au XVIIe siècle par Théophile de Viau, où il n’est question que de réalité inversée, de chaos, de spasmes épileptiques, de renversement, de révélation violente aux accents prophétiques, apocalyptiques —apparition de spectres, d’esprits, déplacement d’arbres, conjurations à la mort et autres manifestations surnaturelles.

Lancé par-delà l’espace et peut-être par-delà le temps, l’échange technoérotique entre la créature et le-la poète-sse se love avec délice dans l’univers organique, sombre, duveteux, éminemment interlope de Jeremy-e Piningre-e.

Commander Haunt me, haunt me, do it again

prix pour :

14 volets, offset, noir & blanc, janvier 2020
leporello, 11,5 x15 cm
offset, noir & blanc
tirage limité à 300 exemplaires,
non diffusé en librairie, 3 €

Un corbeau…

«Un Corbeau devant moi croasse,
Une ombre offusque mes regards,
Deux belettes et deux renards
Traversent l’endroit où je passe:
Les pieds faillent à mon cheval,
Mon laquais tombe du haut mal,
J’entends craqueter le tonnerre,
Un esprit se présente à moi,
J’ois Charon qui m’appelle à soi,
Je vois le centre de la terre.

Ce ruisseau remonte en sa source,
Un bœuf gravit sur un clocher,
Le sang coule de ce rocher,
Un aspic s’accouple d’une ourse,
Sur le haut d’une vieille tour
Un serpent déchire un vautour,
Le feu brûle dedans la glace,
Le Soleil est devenu noir,
Je vois la Lune qui va choir,
Cet arbre est sorti de sa place.»

 

(Théophile de Viau, in Œuvres poétiques, 1621.)